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Actualités


Quels recours peuvent être mobilisés contre les arrêtés royaux de pouvoirs spéciaux ?

Deux lois du 27 mars 2020 « habilitant le Roi à prendre des mesures de lutte contre la propagation du coronavirus COVID-19 », publiées au Moniteur belge du 30 mars 2020, ont attribué au Roi, par le biais d’arrêtés délibérés en Conseil des ministres, les pouvoirs spéciaux pour une durée de trois mois.

Trouvant leur fondement dans l’article 105 de la Constitution, les arrêtés royaux de pouvoirs spéciaux, bien qu’étant l’œuvre du pouvoir exécutif fédéral (voir en fin de texte l’observation concernant les pouvoirs spéciaux dans les collectivités fédérées), ont cette particularité de pouvoir modifier, compléter, remplacer ou abroger les dispositions de lois existantes.

Pour qu’un tel pouvoir – défiant le principe fondamental de la hiérarchie des normes – soit octroyé au Roi, une loi « de pouvoirs spéciaux » doit être prise en amont permettant d’identifier les conditions précises et délimitées de l’adoption des arrêtés de pouvoirs spéciaux et les domaines strictement définis qu’ils peuvent régir.

À l’issue de la période de « pouvoirs spéciaux » qui, par nature, doit, elle aussi être strictement délimitée dans le temps, les arrêtés pris en vertu des lois de pouvoirs spéciaux doivent être confirmés par des lois adoptées selon la procédure parlementaire normale. On les qualifie souvent de « lois de confirmation ».

La section de législation du Conseil d’Etat synthétise ces principes dans son avis du 18 août 2009 sur un avant-projet de loi accordant des pouvoirs au Roi en cas d’épidémie ou de pandémie de grippe : « Pour qu'elle soit conciliable avec l'ensemble des règles constitutionnelles qui régissent les rapports entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif, il faut qu'il y ait des circonstances exceptionnelles, que l'attribution au Roi de tels pouvoirs soit limitée dans le temps et que les pouvoirs conférés au Roi soient précisément définis, tant en ce qui concerne les finalités et les objectifs qu'en ce qui concerne les matières dans lesquelles des mesures peuvent être prises, et que soit indiquée la portée précise des mesures que le Roi est habilité à prendre » (avis 47.062/1/V du 18 août 2009, p. 3 / Doc. Parl., Ch., 2009, n° 52-2156/1, p. 17).

Malgré cet encadrement législatif, les arrêtés de pouvoirs spéciaux, doivent pouvoir être contrôlés par une juridiction indépendante. Il est vrai qu’aussi longtemps que l’arrêté de pouvoirs spéciaux n’aura pas été confirmé par une loi, la norme échappera au contrôle de constitutionnalité de la Cour constitutionnelle. Lorsqu’elle aura été adoptée, la loi de confirmation pourra faire l’objet d’un recours en annulation (ou d’une question préjudicielle) devant la Cour constitutionnelle. Certes, rien n’empêche d’introduire un recours en annulation, et le cas échéant une demande de suspension, contre les lois de pouvoirs spéciaux elles-mêmes, en l’espèce les deux lois du 27 mars 2020. Mais un tel recours apparaît comme assez théorique. Au moment où la Cour le tranchera, la loi de confirmation, appelée à intervenir dans un délai d’un an, aura été adoptée. Et il n’est pas évident d’envisager que puisse être traité, à bref délai, une demande de suspension devant une Cour constitutionnelle qui s’est, elle aussi, mise en confinement (https://www.const-court.be/fr/textes_base/Coronavirus-Mesures-procedurales.pdf).    

Comme l’écrit Michel Leroy, « La confirmation, à strictement parler, est une opération ambiguë, qui ne prive pas un acte réglementaire de sa nature, mais le soustrait aux contrôles juridictionnels qui s’exercent normalement sur lui, et prive de toute incidence pratique les éventuelles incertitudes qui pourraient peser sur sa régularité. À partir du moment où ils ont été confirmés ou ratifiés par la loi, les arrêtés sont hissés sur pied d’égalité avec la loi. (…) Le Conseil d’État ne peut connaître des recours dirigés contre eux, mais la Cour constitutionnelle le peut, dans les limites de sa compétence » (M. Leroy, « Les pouvoirs spéciaux en Belgique », A.P., 2014, p. 499).

Tant qu’ils ne sont pas couverts ou « absorbés » par la loi de confirmation et en raison de leur nature réglementaire, la voie de recours naturelle à l’encontre des arrêtés de pouvoirs spéciaux est celle du contrôle exercé par la section du contentieux administratif du Conseil d’Etat. La durée normale de traitement d’un recours en annulation (un an et demi environ) ou celle d’une demande de suspension ordinaire (quatre à six mois environ), durées actuellement sans doute prolongées en raison de la période de confinement, laissent toutefois peu de chances d’effectivité à ces recours, dont l’objectif serait plutôt indemnitaire que préventif, tant les mesures adoptées, paraissent devoir régir surtout la situation de crise actuelle. Ensuite et surtout, une issue favorable prendrait beaucoup, et sans doute trop, de temps. Si, et c’est plus que probable, ce recours en annulation est traité dans le délai habituel d’un an et demi environ et que l’arrêté royal de pouvoirs spéciaux n’a pas été confirmé dans l’année de son entrée en vigueur, les lois du 27 mars 2020 indiquent que les arrêtés de pouvoirs spéciaux sont alors « réputés n'avoir jamais produit leurs effets ». Quoi qu’on pense d’une telle fiction juridique, à l’issue de ce délai d’un an, le recours en annulation devant le Conseil d’Etat contre l’arrêté royal de pouvoirs spéciaux deviendra sans objet. Si, par contre, la loi de confirmation est intervenue dans le délai d’un an, en principe, la norme change de nature et revêt une forme législative. En théorie toutefois, le recours en annulation pendant pourrait encore être traité par le Conseil d’Etat. Il faudrait alors que l’application de la loi de confirmation soit écartée en raison de son incompatibilité avec une norme supérieure, sans doute via une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle (voy. par exemple l’arrêt n° 127.854 du 6 février 2004, L’association sans but lucratif Fédération des Chambres Syndicales des médecins), sauf si un contrôle d’une norme internationale directement applicable et qui n’a pas d’équivalent dans le titre II de la Constitution, comme par exemple une règle du droit de l’Union européenne (autre qu’issue de la Charte des droits fondamentaux),  peut être opéré directement sur la loi de confirmation. Rien ne garantit toutefois que les choses se déroulent de cette manière puisque le Conseil d’Etat a déjà jugé  : « que, du fait de sa confirmation par la loi […] [l’arrêté de pouvoirs spéciaux] doit, en principe, être considéré, depuis son entrée en vigueur, comme un acte du pouvoir législatif […]; que, partant, le Conseil d'Etat n'est pas, en principe, compétent pour en connaître » (arrêt n° 93.609 du 28 février 2001, l'Association sans but lucratif "Fédération des Chambres Syndicales des médecins).

Seule, en réalité, une demande de suspension d’extrême urgence paraît pouvoir crédiblement être envisagée si une disposition d’un arrêté royal de pouvoirs spéciaux engendre une difficulté juridique et crée un péril imminent. Introduite dans les jours suivant sa publication, un tel recours serait traité, en principe, dans un délai de quelques semaines au maximum par le Conseil d’Etat.

Sur quel fondement pourrait-il s’appuyer ? Naturellement, le contrôle exercé par le Conseil d’Etat aura pour objet de vérifier la compatibilité de l’arrêté de pouvoirs spéciaux avec la loi de pouvoirs spéciaux mais aussi avec les normes qui lui sont supérieures – la Constitution, les normes européennes et internationales ayant effet direct dans l’ordre interne, les règles répartitrices de compétences issues des lois spéciales, les principes généraux du droit de nature « supralégislative », … Concernant plus spécifiquement les pouvoirs spéciaux donnés dans le contexte de la crise sanitaire actuelle, la section de législation du Conseil d’Etat, dans son avis rendu sur la proposition de loi habilitant le Roi à prendre des mesures de lutte contre la propagation du coronavirus Covid-19, répète à diverses reprises les nécessaires balises aux pouvoirs spéciaux qui sont le respect de ces normes supérieures (avis n° 67.142/AG du 25 mars 2020 / Doc. Parl., Ch., 2020, n° 55-1104/2).

Deux choses doivent encore être précisées. Premièrement, dans le cadre d’un recours portant sur un droit subjectif, les cours et tribunaux de l’ordre judiciaire, sur la base de l’article 159 de la Constitution, sont également tenus de refuser d’appliquer une norme réglementaire, telle qu’un arrêté de pouvoirs spéciaux, qui serait contraire aux normes supérieures. Un tel contrôle, en l’espèce, pourrait donc être imaginé à l’occasion d’un référé judiciaire. Deuxièmement, les éléments développés dans la présente peuvent mutatis mutandis être transposés à l’éventualité d’un recours contre un des arrêtés de pouvoirs spéciaux qui sont pris, sur la base de l’article 78 de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980 ou en référence à cette disposition, dans le cadre de la présente crise, par les gouvernements des collectivités fédérées qui ont fait choix de ce mécanisme d’exception. 

Michel Kaiser
Avocat associé
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Cécile Jadot
Avocate
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